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2 mars 2016 3 02 /03 /mars /2016 21:50

La réforme de la loi sur l’asile. La réforme de la loi sur l’immigration

Le point de vue de Me M. Noëlle Fréry

La réforme de la loi sur l’asile

L’idée centrale de la réforme de l’asile a été de réduire les délais pour traiter plus vite les demandes d’asile et réduire ainsi les coûts de procédure et les coûts d’hébergement. Le problème, c’est que les délais ont été trop réduits et qu’on se retrouve maintenant avec une loi qui augmente le nombre de déboutés.

En effet, l’ofpra peut instruire les dossiers d’asile en procédure normale ou en procédure prioritaire, maintenant appelée « procédure accélérée ». Si l’ofpra choisit la procédure accélérée, notamment pour les demandeurs venant de « pays dits sûrs », le traitement des dossiers s’effectue en quelques semaines à l’OFPRA. Mais surtout, la Cour d’asile a l’obligation de juger en 5 semaines les dossiers traités en procédure accélérée, jugement compris. La présidente de la Cour d’asile ayant laissé aux magistrats 15 jours pour rédiger le jugement, cela signifie que les magistrats vont audiencier et juger en 3 semaines. Or en France, on reçoit en moyenne 50 à 60000 demandeurs d’asile par an, dont 40% environ des dossiers sont traités en procédure accélérée.

Cela entraînera une augmentation des cadences à la Cour d’asile, ce qui signifie pour les juges peu de temps pour s’approprier les dossiers donc un stress de plus en plus important. Précisons aussi qu’à la Cour d’Asile il y a plus de 110 formations de jugements avec des appréciations totalement différentes des situations en fonction des présidents. Pour un même dossier, selon le président, la décision peut être favorable ou défavorable. Ces décisions souvent contradictoires font aussi qu’il n’y a pas beaucoup d’harmonisation de la jurisprudence.

Cela veut dire aussi, du côté de la défense, que personne n’a le temps de travailler sérieusement, tant pour la traduction de certains documents, que pour envoyer éventuellement les personnes voir un médecin si elles ont été victimes de graves violences.

Quant à la rémunération des avocats, rien n’a bougé. Dans la reforme de l’asile, à l’OFPRA, les gens peuvent être assistés par un tiers, avocat ou association, ce qui sur le principe est une amélioration. Mais quels moyens met-on en face ? On nous avait dit qu’il y aurait un transfert de rémunération pour l’avocat par l’aide juridictionnelle, mais pour l’instant, rien. Donc, soit la personne a les moyens de payer, soit l’avocat travaille de façon gratuite. Or, il s’agit d’un vrai travail et pas seulement d’une présence, car il faut bien connaître le dossier pour poser les bonnes questions à l’OFPRA.

Enfin, il ya le temps nécessaire à un demandeur d’asile pour arriver à s’exprimer quand il a été victime de tortures parce que les gens ne vont pas en 3 semaines nous faire leurs confidences sur des points difficiles à exprimer. C’est pourquoi il est important que tout le monde puisse lire le Protocole d’Istanbul, adopté par les Nations Unies en 1999 et auquel les directives européennes « Accueil » et « Procédure » se réfèrent désormais.

Sur l’amendement qui n’est pas passé en juillet 2015, la commission de l’Assemblée ne voulait pas de notre proposition de réouverture car ils voulaient que le réexamen soit limité à des conditions très strictes fixées par l’OFPRA. Et si l’OFPRA a décidé que la demande est irrecevable, cela n’ira pas plus loin et cela va augmenter les reconduites des personnes à la frontière.

Les reconduites effectives à la frontière

La question qui devrait être posée c’est : pourquoi l’administration prend autant d’Obligations de quitter le territoire français ? Dans la plupart des dossiers, on est actuellement à 3 ou 4 OQTF. En temps qu’avocat, on va au tribunal toutes les années et on se dit qu’un jour on gagnera. Mais, année après année, l’administration prend des décisions de quitter le territoire, alors qu’elle sait pertinemment qu’elle n’arrivera pas à faire exécuter ces renvois.

Les statistiques du ministère de l’intérieur du 25 janvier 2016 montrent que sur 60000 OQTF, en pratique 15000 ont été exécutées pour l’année 2015, soit de 5% de baisse par rapport à l’année précédente. Il s’avère que 60% des décisions de quitter le territoire ne sont pas exécutées parce que les Etats étrangers refusent de délivrer les laissez-passer, soit qu’ils sont en guerre ou qu’ils n’acceptent pas que ces demandeurs d’asile reviennent chez eux. Tout le monde sait donc que ces mesures ne seront pas nécessairement exécutées mais elles sont prises quand même et elles mettent les personnes dans une situation de non droit, sans papiers.

Par contre, ces statistiques englobent les « départs volontaires », estimés à 9000 personnes. Avec les 15000 reconduites effectives, cela donne environ un total de 24000 départs. En moyenne, sous le gouvernement précédent, on était à 29000/30000 reconduites. Cette baisse des reconduites à la frontière n’est donc pas due à la générosité du gouvernement, mais à une énorme machine peu efficace et qui fait beaucoup de dégâts humains.

La réforme de la loi sur l’immigration

L’Assemblée reprend en ce moment la réforme de la loi sur l’immigration. L’idée centrale de la réforme vise à alléger les procédures et reconduire plus de personnes à la frontière. Or, le rapport Piérart du Conseil d’Etat sorti en novembre 2015, constate que les juridictions administratives sont totalement embouteillées, notamment par les OQTF.

Parmi les propositions, on peut noter :

  • Supprimer la compétence du juge administratif pour les reconduites à la frontière et confier ce travail à des commissions administratives ;
  • Réduire l’accès à la Cour administrative d’appel et le recours au Conseil d’Etat.

Comme pour les demandeurs d’asile, le rapport Piérart estime que cela coûte trop cher et que c’est trop long Donc, l’idée revient à dé-judiciariser ces questions et de les remettre à des commissions administratives. Avantages : on ne saisit pas le juge, il n’y a pas d’avocat et surtout on supprime les recours effectifs.

Donc, on va réduire la durée de traitement des dossiers, remplacer la compétence du juge par des commissions administratives. Quand elles seront déboutées, les personnes n’auront plus droit au recours et on augmentera les reconduites à la frontière.

Deux ou trois choses que nous savons au sujet des amendements

proposés par PassereElles Buissonnières et Tiberius Claudius

Le 30 juillet 2015, la loi relative à la réforme du droit d’asile paraissait au Journal Officiel.

Les « personnes vulnérables »

Cette loi devait transposer en droit français deux directives européennes avant le 20 juillet 2015 et intégrer les directives Accueil et Procédure du 26 juin 2013 dans la perspective d’une politique européenne commune dans le domaine de l’asile, en référence aux préconisations du Protocole d’Istanbul.

Ces directives s’intéressent particulièrement aux personnes « vulnérables », telles que les mineurs, les mineurs non accompagnés, les handicapés, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d’enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes ayant des maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, par exemple les victimes de mutilation génitale féminine.

L'article 3 de la nouvelle loi modifie ainsi Code d’Entrée et de Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile (CESEDA) et indique : « S’agissant des motifs de persécution, les aspects liés au genre et à l’orientation sexuelle sont dûment pris en considération aux fins de la reconnaissance de l’appartenance à un certain groupe social ou de l’identification d’une caractéristique d’un tel groupe. »

Les amendements proposés :

Le groupe pluridisciplinaire réuni par l’association PasserElles Buissonnières et Tiberius a rédigé deux amendements présentés il y a un an sous le titre « Affaire 179 : le projet Asile 2014 ». Ces travaux se basaient sur les préconisations du Protocole d’Istanbul qui concernent les personnes ayant été l’objet de tortures.

L’amendement sur le Huis clos a été accepté

Deux amendements s’affrontaient, celui défendu par Sandrine Mazetier et B. Cazeneuve « Lorsque la requête repose sur des faits de viol ou de tortures et actes de barbarie accompagnés d'agressions sexuelles, le huis clos est de droit si le requérant le demande » et celui de PasserElles/Tiberius « Le huis clos sera prononcé de droit si le demandeur d’asile ou son conseil le sollicite.”

En séance plénière, contre l’avis qui limitait le droit au huis clos sous prétexte que sa généralisation contreviendrait au principe républicain de la publicité des débats, Sergio Coronado, Denys Robilliard et Pascale Crozon ont défendu notre amendement qui a finalement été accepté.

« Art. L. 733-1-1. : Les débats devant la Cour nationale du droit d’asile ont lieu en audience publique après lecture du rapport par le rapporteur. Toutefois, le huis-clos est de droit si le requérant le demande ».

L’amendement sur le Réexamen de la demande

La proposition de PasserElles/Tiberius était : « L’Office procédera au réexamen de la demande si des faits liés à des violences graves ou tortures n’ont pu être évoqués en première demande », amendement rapidement rejeté. La loi est devenue :

« Art. L. 723-14. – Si, dans un délai inférieur à neuf mois à compter de la décision de clôture, le demandeur sollicite la réouverture de son dossier ou présente une nouvelle demande, l’office rouvre le dossier et reprend l’examen de la demande au stade auquel il avait été interrompu ../.. Le dossier d’un demandeur ne peut être rouvert qu’une seule fois en application du premier alinéa. Passé le délai de neuf mois, la décision de clôture est définitive. »

Les avocats spécialistes du droit des étrangers et l’aide juridictionnelle

Après avoir voulu faire financer l’AJ en partie avec les intérêts produits par l’argent des clients des avocats consignés dans les Caisses des règlements pécuniaires des avocats (CARPA), Christine Taubira est revenue en arrière après les grèves d’avocats menées par le Syndicat des avocats de France en octobre dernier.

Il est de plus en plus difficile pour les avocats spécialistes du droit des étrangers d’assurer l’assistance aux bénéficiaires de l’AJ car la rémunération est souvent bien inférieure aux frais engagés. Un dossier en Cour nationale du droit d'asile avec audience publique est tarifé à 16 unités de valeur soit 16x23,18 = 370€ pour les entretiens avec les personnes, la constitution du dossier, le voyage à Paris, la plaidoirie…

Accès au droit - Renouvellement de titre de séjour par internet

Ou les dégâts collatéraux de la dématérialisation des procédures

Un dossier du cabinet d’Alain Couderc et Morad Zouine

Pour remédier aux longues files d’attente devant la Préfecture, un système de prises de rendez-vous sur Internet a été mis en place en 2014 et rendu obligatoire depuis août 2015.

Monsieur B, salarié depuis 2005, marié et père de 4 enfants, est titulaire d’une carte de résident expirant le 5octobre 2015. La réglementation précisant que l’étranger doit présenter sa demande de renouvellement « dans le courant des deux derniers mois précédant l'expiration de la carte de séjour dont il est titulaire », Mr B se présente donc le 24 septembre2015 à la Préfecture pour faire enregistrer sa demande de renouvellement de titre de séjour et obtenir un récépissé, celui-ci lui permettant de maintenir ses droits pendant la période d’examen de sa demande.

Mr B est alors informé qu’il doit prendre rendez-vous au préalable en se connectant sur le site de la Préfecture. M. B quitte la Préfecture sans qu’on lui ait délivré de récépissé, procède à la démarche sur internet et obtient un rendez-vous… pour le 23 novembre 2015, soit 49 jours après la date d’expiration de son titre de séjour.

Depuis la mise en place de la nouvelle procédure dématérialisée, les délais de RV semblent avoir explosé. Or, ces 49 jours et l’absence de récépissé signifient pour Mr B : la situation d’irrégularité, la suspension de son contrat de travail, l’impossibilité de financer ses dépenses de famille et de rembourser son crédit immobilier.

Compte tenu de la gravité des conséquences d’une telle mesure, Mr B décide de se faire accompagner et fait saisir le juge des référés du TA de Lyon pour faire avancer le rendez-vous.

Considérant que la Préfecture place les étrangers renouvelant leur titre de séjour dans une situation irrégulière, le TA a enjoint le Préfet de recevoir Mr B « dans ses services pour qu’il puisse déposer sa demande de titre et lui en délivrer récépissé dans un délai de 48h ».

L’expulsion des foyers des personnes déboutées de l’asile.

Qui la demande ? Qui va décider ? Juge judiciaire ou du juge administratif ?

La récente jurisprudence du Conseil d’État avait qualifié « le C.A.D.A d’immeuble appartenant à une personne morale de droit privé et considéré qu’il appartenait alors au Juge judiciaire d’ordonner éventuellement l’expulsion. » (Arrêt du Conseil d’Etat du 11 mai 2015 – n° 304957)

En juillet 2015, concernant les questions d’expulsions des personnes déboutées de l’asile, le législateur a prévu que c’est le Préfet et non le gestionnaire du C.A.D.A qui devra demander l’expulsion. Toutefois, le gouvernement et le pouvoir législatif ont estimé qu’il fallait rendre compétent le Président du Tribunal administratif et qu’il traite cette demande dans le cadre des procédures « Référés – mesures utiles ».

Il s’agissait d’éviter le Juge judiciaire qui est plus à même d’apprécier la précarité des personnes et d’accorder des délais, conformément aux textes de Loi applicables en cette matière.

Il faudra donc poursuivre ce travail devant les Juges Administratifs, pour obtenir d’eux le respect des délais prévus par ailleurs en cas de demande d’expulsion d’occupants sans droit ni titre…

Une Journée de Formation à Lyon le 20 novembre 2015

Pour faire connaitre le trop méconnu Protocole d'Istanbul.

Le travail de groupe réalisé par PasserElles Buissonières et Tiberius Claudius pour deux amendements à la Loi Asile, a conduit ses membres à lire le Protocole d'Istanbul auquel les directives européennes «Accueil» et «Procédure» se réfèrent. Adopté par les Nations Unies en 1999, ce manuel s’adresse aux différents professionnels intervenant auprès de victimes de tortures. Pour faire connaître ce texte, PasserElles Buissonnières a organisé le 20 novembre 2015 une journée qui a réuni une cinquantaine de participants d’horizons professionnels variés.

A la tribune : Caroline Schar, psychologue (Suisse) et Önder Özkalipci, médecin légiste (Turquie), coordonnateurs de l'élaboration du Protocole d'Istanbul ; Doudou Diene, vice-président du comité scientifique de l'Institut international de recherche politique de civilisation, fondé par Edgar Morin, et par ailleurs expert indépendant auprès de l'ONU ; Marie-Noëlle Fréry, avocate spécialiste du droit des étrangers. Hélène Surrel, professeur de droit public à Sciences-Po Lyon a assuré l’introduction, la circulation de la parole et la conclusion de la journée.

Une journée stimulante, le matin avec des interventions suivies d'échanges avec la salle ; un buffet convivial permettant les rencontres ; et l’après-midi, des ateliers de réflexion. Les actes journée paraîtront bientôt.

PasserElles Buissonnières ? Cette association lyonnaise, née en 2012, propose à des femmes ayant connu la maladie ou l’exil de se réunir pour élaborer un projet professionnel et un projet de vie.

L’accompagnement articule trois temps : un temps individuel où chacune accompagnée par un médecin et une juriste, pense et construit son projet personnel ; des ateliers thématiques pour rompre avec l’isolement et se réinscrire dans une identité sociale : santé, informatique, relaxation, français langue étrangère, conversation anglaise, conte, manger-bouger, organiser son temps, autodéfense ; et des «passerelles» pour s’ouvrir sur la cité : repas bimestriel « le Goût de l’Autre », découverte de la ville et de ses acteurs, Salon des femmes du monde pour partager une citoyenneté active.

Tiberius Claudius - dans lettre Droit

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